mardi, septembre 26, 2006

Atelier du 22 septembre 2006

Proposition à partir d'un texte de Frédéric Boudet. Dans son recueil de nouvelles intitulés Invisibles figure une nouvelle intitulée Calligraphie. Elle commence ainsi : "Mon père est mort hier. J'ai loué une voiture et j'ai pris l'autoroute pour rejoindre la côte atlantique. Juste avant d'atteindre Saint-Nazaire, j'ai fait halte sur l'aire d'autoroute où j'avais gagné mon premier salaire lorsque j'étais encore au lycée...."
La proposition consiste à faire avancer un texte en ne s'arrêtant pas sur les sentiments ou émotions mais en privilégiant la succession des actions.
Christophe
J’ai balancé le pavé dans le carreau de la voiture. Un milliard d’éclats de verre sur le goudron. Quelques uns sur le siège du conducteur. Les passants passaient parce que c’était jour de marché. Moktar a passé le bras par l’ouverture et ouvert la porte. Il s’est engouffré pour rafler ce qui traînait à l’avant. Une gauloise qui garait sa voiture a eut l’air ahurie. Francis s’est occupé de l’arrière. J’ai tiré deux ou trois taffes en matant alentour. Ils sont sortis avec un CD de la StarAc et une pochette en plastique. On voyait pas ce qu’il y avait dedans. Moktar a dit que c’était pour sa petite sœur. La gauloise est partie chercher une place ailleurs. J’ai dit que c’était naze et j’ai envoyé un glaviot sur le pare brise. On est parti au marché. Y avait des fripes et des boubous au début, des cuvettes et de la brocante juste après. Un malien nous a proposé des bracelets en cuir et des bonnets rasta. Il puaient la transpiration, alors je me suis pas arrêté. Il a dit qu’il avait aussi des téléphones portables. Comme on s’arrêtait pas, il a dit qu’il en avait un tout frais de ce matin, sans le chargeur mais avec la puce garantie activée. Sans arrêter de marché, Francis lui a montré qu’il en avait un dans chaque poche. Alors le mec a fait tout bas qu’il avait aussi des trucs plus planant à deux rues d’ici. Moktar a dit que son frère travaillait au hallal qu’on voyait là-bas, et qu’il voulait pas d’embrouille dans le quartier. L’afrique nous lâchait pas. Il a assuré qu’y aurait pas d’embrouille, et qu’il avait mêmes des pharmacies bleues pas chères qui feraient déchirer nos copines. Francis et moi on s’est quand même arrêté.
Gilles
Mon père est mort, d’un suicide. En voiture. Il a fallu que j’aille récupérer la voiture. « La tête de delco est morte », a dit le garagiste d’un air blasé. « C’est un moindre mal », ai-je répliqué.
« Morte la bête, mort le venin », ai-je pensé, en m’asseyant au volant, après qu’il ait une réparation d’infortune.
Durant tout le trajet, me revenait le regard du garagiste, ses mains de noir défunt, son haleine qui puait l’eau-de-vie. Des hauts le cœur m’envahissaient.
J’avais besoin de boire, d’étriper mes tripes.
Au fait, ça sert à quoi, les tripes ? Elles se rappellent à vous que pour vous faire mal. Comme s’il n’y avait pas assez de mal comme ça dans la vie : la misère, les impôts, Sarko, Ségo, et le voisin qui ronfle et réveille tout l’immeuble.
« Faux ! », me dis-je brusquement, « la joie fait aussi sortir les tripes : un bon vin, les jambes d’une femme, le rire d’un enfant sur les chevaux de bois, la connivence d’un ami. Tout ça met les tripes sans dessus-dessous : la tripe se marre, la tripe jubile, la tripe se gondole, s’épanouit, s’esclaffe, se régénère au contact du bonheur des autres. Et, comme elles sont plusieurs, les tripes, vous imaginez la java…
‘Jamais dansé la java, moi… Aujourd’hui j’aimerais bien…
Clara
Pierre a disparu. Pierre a disparu et je suis en route vers le commissariat de police. Une réunion de profs, les portes qui s’ouvrent avec un temps d’avance et voilà Pierre sur le trottoir regardant s’éloigner les copains par grappes. Laurent m’appelle, il est embêté : quand il est arrivé à 17h, la rue était déserte devant le collège. C’est le gardien qui lui a dit que les cinquièmes étaient sortis plus tôt que d’habitude. Il avait bien vu un gamin rester assis sur le muret avant de se diriger vers le stade. Je fais un détour par le stade ; pas de match, pas de Pierre. Ça l’a pris petit, cette habitude de fuguer. La première fois, il devait avoir quatre ou cinq ans. Il avait rempli un carton à chapeaux de chaussures et de biscuits et était parti, droit devant lui halant son fardeau qui lui battait les mollets. On l’avait retrouvé trois heures plus tard, assis sur un banc, la tête ensommeillée posée sur le carton qu’il tenait serré contre lui. Entre deux sanglots, il avait expliqué aux agents qu’il était en chemin vers l’Amérique du Sud et qu’il s’était perdu. Je passe devant l’agence de voyage, un avion décolle sur le bleu du papier glacé. Au fil des années, les destinations s’étaient éloignées, les scénarios s’étaient affinés. C’est ainsi qu’un jour de rentrée scolaire, c’est son polochon, habilement glissé sous la couverture que j’ai dû secouer. Cette fois là, il avait eu le temps d’arriver à la gare et de sauter dans premier train venu. Ce n’est que le lendemain qu’il nous fut ramené. Ses explications devenaient de plus en plus saugrenues avec le temps. Progressivement, la garde s’est rapprochée, mais peut-on empêcher un gamin de partir, d’inquiéter, de se faire attendre.
Marijo
J'ai enfin trouvé un boulot. Un boulot un vrai. Vous commencez demain à neuf heures.
Sous la douche mes pensées se bousculent, ricochent. Excitation fébrile d'une rentrée annoncée. Odeur des livres neufs aux couvertures glacées. Plaisir des crayons affûtés, du stylo plume et des nouveaux cahiers aux pages immaculées. Ce matin j'arriverai à l'heure, même en avance. Ce sera la seule fois. Mon bureau et en bois, près du radiateur, comme à l'école, Depuis ma place je vois la rue. J'en ai toujours rêvé. Le tableau sur le mur du fond rappelle qu'ici le savoir est transmis. Le verbe «être» et «avoir» au présent. La leçon d'hier.
"Je vous laisse, vous trouverez la liste des apprenants et des bénévoles dans les classeurs. Si vous avez besoin de quelque chose, n'hésitez pas"
Me voilà partie pour prendre la place de ceux et celles que j'ai toujours détestés durant toute ma scolarité. D'une certaine manière je suis devenue "principale".

dimanche, septembre 10, 2006

Atelier du 8 septembre 06

Proposition : Définir ce qu'est l'atelier d'écriture
D'après le livre de Bernard Werber : "Encyclopédie du savoir relatif et absolu"
Christophe
C’est l’histoire d’une rencontre improbable. Deux êtres qui se sont croisés un jour de la vie.
Lui musculeux et volontaire, dégage des relents de sueur et d’effort. Il est sonore et exubérant, gueule plus qu’il ne parle, s’esclaffe, explose. Il chaloupe, chavire, affiche volontiers une tenue désordonnée. Il s'active un peu crâne mais se plie sans discuter au cérémonial convenu.
Elle gracile et délicate, sensible et délicieuse, exhale des senteurs raffinées. Elle est patiente et silencieuse, cherche sa proie et se tapit. Souvent un peu perfide, parfois étrangère à elle-même, elle ménage les sensibilités, s’attendrit et réfléchit. Puis elle bondit et se love.
Lui c’est l’atelier. Elle c’est l’écriture. Ils s’intéressent peu au souvenir de leur rencontre. Ils ne réfléchissent pas non plus au temps qu’il leur reste. Ils préfèrent jouir sans se soucier.
Thierry
Quand je dis atelier d'écriture, n'allez pas imaginer une vaste imprimerie où de vieux ouvriers crasseux remuent des casiers en bois remplis de lettres en plomb. N'allez pas imaginer non plus, une réunion de critiques littéraires comfortablement installés dans des bridges de velour rouge. Non notre atelier tient plutôt de la séance "intello-alcoolo-bobo" que d'un travail académique!. Le principe est basé sur l'amitié et l'amour de l'écriture et nous réunit tous les quinze jours au milieu de Sauvignon du 14ème et de pâtisseries du 18ème. Et puis il y a la proposition d'écriture inventée par l'un d'entre nous, qui s'appuie sur un livre...un vrai.
Le but étant d'écrire, que l'on respecte ou non cette proposition, ce moment d'une heure oscille entre la hantise de la page blanche et l'instant érotico-séraphique- sécurisant instantané. Puis vient le moment des retours, ou chacun à l'aide d'un papier proposant un thème, fait ses commentaires.
Je crois que c'est le seul instant ou la rigueur est demandée, sous peine de s'entendre dire "on s'en fout !".
Cet exercice nous enmène à chaque fois sur des chemins inexplorés, met nos sens en éveil et fait une remise à zéro de notre cerveau. Ici pas de jugement, mais de l'amitié, pas de convention mais de l'attention. Beaucoup de voyages imaginaires, dans le passé ou le futur, dans les méandres de l'amour ou de la révolte, pas de tabous mais de la pudeur, notre atelier est basé sur la tolérance, l'amitié, le Sauvignon, et un Soda du jour, une bien belle recette pour de simples voyelles et consonnes "a...lcoolisés !".
Clara
Atelier d’écriture, débiné par Renaud brocardant les bobos. Petite fabrique d’écriture du vendredi soir histoire de tricoter du texte entre copains. A peine sorti du boulot, se retrouver à l’atelier. Dingue ! Non ? Deux bonnes bouteilles plus tard, abandonner les soucis, déballonner les tracas et bedaine remplie, s’adonner au plaisir de l’écriture. On a lu, on lit. On a bu, on rit. L’un propose, tous disposent. Silence pour une heure, à peine troublé du hachoir des touches, de la mollette des briquets, du frôlement des pages. Dans les bobines se déballent les idées, se dérobent les mots, déboulent de petits bonheurs surprenants. Sur les cahiers et les écrans, crayons et claviers crépitent et s’emballent, sèchent et traînent. Soupirs lisses, fronts plissés et l’heure a tourné. Passent les petits papiers cent fois tripotés pour guider l’écoute et affûter les retours. Dans l’euphorie des bulles du jour, on lit et se délie, on est toute ouïe.
Marijo
Vendredi. La semain est finie. C'est l'écrit.
Rendez-vous des bobos de Cîteaux.
Peu importe le talent. On s'en fout!
Petit vin blanc qu'on boit entre complices. Fringales, gourmandises, rigolades, diversions, apartés.
Cinquante-cinq minutes de feuille blanche à noircir. Tempêtes cérébrales, incertitudes, trouilles, fébrilité, divagations, égarements. Délires des mots. Mêlées de lettres. Conversations de l'esprit. On se dit, se dévoile, se découvre.
Cinq minutes. Stylos posés, claviers lâchés, ronronnement d'imprimante.
Un soda.
Lecture. Sourire, surprises, troubles, émotions, cadeaux, grâce.
Relecture.
A nous les retours. Impression, cohérence, champs lexicale, travail en extension, observations diverses, rigolades, diversions et apartés.
Minuit. La lourde porte se referme. Fatigués mais contents. Demain c'est grâce mat!