samedi, mars 18, 2006

Atelier du 17 mars 06


Proposition d'après L'expiation de Victor Hugo dans "Les châtiments"
Le champ sémantique désigne les mots appartenant à un même champ de signifiés. Dans le poème de V Hugo L’expiation, divers termes appartenant au champ sémantique du mot « hiver » instaure le climat glacé qui mit à mal les troupes napoléoniennes pendant la retraite de Russie en 1812.
« Il neigeait. On était vaincu par sa conquête.
Pour la première fois, l’aigle baissait la tête.
Sombres jours ! l’empereur revenait lentement
Laissant derrière lui brûler Moscou fumant.
Il neigeait. L’âpre hiver fondait en avalanche.
Après la plaine blanche, une autre plaine blanche.
On ne connaissait plus les chefs, ni le drapeau.
Hier la grande armée, et maintenant troupeau.
On ne distinguait plus les ailes ni le centre.
Il neigeait. Les blessés s’abritaient dans le ventre
Des chevaux morts ; au seuil des bivouacs désolés
On voyait des clairons à leur poste gelés,
Restés debout, en selle et muets, blancs de givres,
Collant leur bouche en pierre aux trompettes de cuivre.
Boulets, mitraille, obus, mêlés aux flocons blancs
Pleuvaient ; les grenadiers, surpris d’être tremblants,
Marchaient pensifs, la glace à leur moustache grise..
… »
Nous avons donc lister quelques termes appartenant aux champs sémantiques de l’automne (pleurs, vendanges, hallali, brame, ocre, noisette, or, boue, feuilles mortes, manifestation, vin chaud, roux, septembre, sanglots, brume, pluie, marron, champignon, pèlerine, labour, vent, grande marée, bourrasque, botte, culotte, parapluie, séparation, écureuil) et du printemps (bourgeons, fleur, naissance, vert, Pâques, cloche, chocolat, œuf, semence, agneau, averse, giboulée, amour, promesse, coucou, joie, danse, sacre, hirondelle, jupon, mini jupe, sève, oisillon, nid, apparition, herbe, pâturage, plante, pollen, bouton d’or, muguet, chaton).
Il s’agissait ensuite d’écrire sur le thème de la retraite de Russie 2 textes, chacun utilisant le champ sémantique d’une saison.


Christophe
Dans la neigeuse immensité, personne pour entendre le sanglot lamentable et désespéré des hommes de la grande armée. Rêves de gloire et désirs impériaux s’achèvent au milieu de l’espace infini. Eux qui pendant 20 ans firent trembler toute l’Europe, bousculant trônes et princesses, saccageant églises et palais, entraînant dans la bourrasque révolutionnaire les ors surannés de despotes dégénérés, se retrouvent misérables et affamés, ployant sous les assauts de Koutouzov, seuls dans le blizzard prêt à se battre pour une botte, à s’étriper pour une pèlerine, à se damner pour un vin chaud.

Ailleurs le coucou chante et les bourgeons pointent tandis que fleurissent les amours. Ici l’hirondelle s’est enfuie, les semences ont gelées et l’herbe ne pousse plus. Procession silencieuse que même le glas abandonne, des milliers d’homme cheminent pas à pas dans le froid. Ils s’en retournent défaits vers leur hiver plus clément. Après la fulgurante avancée qui les mena en quelques semaines à Moscou, les soldats de l’empereur en haillon. Ils ont tout brûlé. Voilà des semaines qu’ils n’ont plus entendu le moindre chant d’oiseau. Puisque la contrée hostile s’étend bien au-delà de l’horizon, seul reste pour se réchauffer les souvenirs de jupons et de danses dans la nuit.


Thierry
Septembre et sa couleur ocre avaient envahie les plaines de Russie. Nos bottes fouettaient les feuilles mortes. Le vent et ses bourrasques dissipaient la brume du matin. La pluie et le ruissellement de l’eau sur nos pèlerines plombaient nos après-midi. L’Aiglon devait vivre cette défaite comme une séparation. Dans les rangs, des grognards retenaient leurs sanglots. La faim nous envahissait. Pas même une noisette ou un champignon dans les champs labourés par nos pieds. Notre espoir de survie était aussi mince et précieux qu’un fil d’or. Je rêvais des plages de ma Normandie natale, d’enlever ma culotte et de me laisser ensevelir par les vagues des grandes marées…

Pâques serait là bien avant notre retour au pays. Nous étions comme des oisillons hors du nid, perdus et affamés. Un agneau bien tendre et cuit à point en faisait rêver certains. L’Aiglon sur son cheval devait trouver son sacre bien loin…Nous marchions sous les averses. Nos bottes lourdes écrasaient les fleurs de ces plaines de Russie. La joie n’y était plus, seuls les cris des hirondelles ou le chant des coucous venaient rompre le silence. Aux alentours, pas même le son d’une cloche ou la vue d’un paysan jetant ses semences. Rien que du vert. Les giboulées nous empêchaient de penser à l’amour et ses promesses, encore moins aux jupons des femmes de Paris. En cette fin de mois de Mars, seuls les bourgeons gonflés de sève nous rappelaient que la vie existait.Notre retour au pays s’annonçait comme une naissance avortée.

Hélène
C'est à la lisière du bois qu'ils voient entre les franges de brume la horde qui s'affaire dans les labours.
Sous les arbres, ils affolent écureuil et oiseaux et même une biche qui pourtant avait senti trembler l'allée sablonneuse sous leurs bottes alourdies de feuilles.
La pluie perle de leur nez sur leur capote boueuse, elle leur parle de la cueillette qu'ils ne pourront effectuer, car il leur faut avancer, obéir aux ordres, se rapprocher à certaines heures les uns des autres pour se réconforter à leur propre chaleur, et poursuivre la route qui les mène à l'hiver.

La lumière s'égaye chaque jour de tons pastels, ocre rosé et doré. L'air palpite du bruissement d'ailes des oiseaux préoccupés de leurs histoires de ménage. Les halos verdoyants des jeunes pousses et de chatons vibrent d'insectes affairés. Les pâturages alternent avec le colza ; le sol est spongieux, l'herbe grasse cerne les ornières qui reflètent le ciel, les soldats sont ragaillardis par le chant du coucou.


Clara
Dans le soir embrasé s'étirait la colonne
Les bottes des grenadiers s'extirpaient de la boue.
Dans des bruits de succion, la terre les aspirait
Ternissant leur courage, avalant leurs espoirs.
Les pèlerines gorgées d'eau leur battaient les mollets.
Campé sur sa monture, l'empereur contemplait
Sous ses yeux le désastre hachuré par l'averse
Son visage ruisselait sa capote dégouttait
Sous une pluie de feuilles et de cendre et de fer.
Les arbres de la plaine tendaient leurs bras fourchus.
Les soldats les croisaient dans un froissement humide
Et bientôt ils mourraient noyés dans le brouillard.

Au matin aigrelet naît un nouvel espoir
Dans l'azur du ciel il cherche son envol
Se peut-il que ce jour sonne la fin d'un âge ?
Il semble tout au contraire débordant de promesses.
Les bottes des grenadiers écrasant les jeunes pousses
Retrouvent leur allure, celle d'avant le combat
Aux épaules des soldats on voit fumer l'étoffe
Et même entre leurs lèvres trembler un brin nouveau
De loin sur la colline, l'empereur regarde
Se dérouler l'armée comme un long ruban sombre
Sur le vert de la plaine et dans le bleu du ciel
Il songe que tous ces hommes qui reverront leur terre
Oublieront la morsure d'une amère défaite.


Marijo
Campagne cramoisie saisie par la tourmente
L’infanterie usée errait épouvantée.
Débandade funèbre, tempête interminable,
Ils avaient combattu, enduré et perdu
Battements de bottes, clappement de sabots.
Braillements humides, essoufflements des bêtes,
Epouvante des soldats, lassitude des canons
Hurlement à la mort, souffrance animales
L’hiver défunt s’allongea obscur et sans vie
Les brumes laissèrent place aux aurores impassibles
Le sang brunit au creux des ornières encaissées
L’effrayante fanfare annonça le printemps
Abandonner les morts, les camarades disparus
La nature effarée retenait les bourgeons
Le coucou s’étouffait, les soldats désespéraient

Le cauchemar ne finira-t-il jamais ?

samedi, mars 04, 2006

Atelier du 04 mars 06

Proposition tirée du livre de Dan Brown "Da Vici Code".
"Sangreal... Sang real... San Greal... Sang royal... Saint Grall. Une chaîne de mots intimements liés. Le Saint Grall, c'est Marie Madeleine... la mère qui portait la lignée royale de Jésus. Encore abasourdie, Sophie regardait fixement Robert Langdon. Plus Teabing et lui avaient accumulé de révélations, plus les pièces du puzzle lui paraissaient difficiles à assembler." La proposition d'écriture consiste à faire d'un objet le fil rouge d'un texte en lui donnant un rôle significatif dans une ou plusieurs scènes

Thierry
Le visa. Son visa. Leurs visas. Nous étions tous là pour la même chose. Un monogramme polychrome apposé sur une page de passeport avec un "grigri" en guise de signature. Visa de fortune, visa d'une vie meilleure, visa de la misère, visa d'une vie plus dure, visa du bonheur, visa de la honte, visa politique, visa familiale. Autant de sortes de visas que de personnes parquées dans cette pièce minuscule de la sous-préfecture. Protégés derrière des guichets vitrés, des blancs habilités à questionner, à douter, à hausser le ton, à réprimander. Mais aucun d'eux ne délivraient Le Visa. Ce pouvoir appartenait à l'home blanc en costume cravate planté derrière les employés, c'était l'homme aux deux visages. Celui du OUI, celui du NON. L'enjeu pour tous était de savoir si les preuves fournies suffiraient à obtenir le précieux sésame. Déjà midi et on appelle le 31. Mon ami a le n°37. Dans cette affaire, moi bien blanc sans nécessité de visa, je lui sers de nounou-traducteur-diplomate, car un visa peut faire pleurer, un visa a besoin d'être traduit, un visa se négocie avec une once de miel et non de fiel. 33 guichet 3! Ca ne dure pas longtemps. La femme enceinte maghrébine repart tristement. 34 guichet 4! Cinq personnes pour un visa, s'en est trop pour l'employée qui hurle qu'ici ce n'est pas le Mali ! 36 guichet 6! Tiens elle est revenue de pause déjeuner; le sandwich ne devait pas être bon. 37 guichet 7! C'est à nous. Mon argument est prêt : "Bonjour, c'est pour un visa d'amour".

Hélène
- 20 € - Pardon ? - Vous me demandez le coût de cette pierre, c'est du verre taillé comme on pouvait en faire à cette époque, et pour la remplacer vous l'achèteriez 20 euros. Une confirmation des diagnostics précédents me fait mal et je sors de la boutique abattue ; le saphir qui m'a fait rêver- 20 euros depuis mon enfance n'en est pas un ou n'en est plus un. Le mystère reste à comprendre. Il était porté jour et nuit par ma grand-mère qui l'avait reçu de sa belle-mère en bague de fiançailles. Lorsqu'entre femmes, notre connivence autour des bijoux familiaux m'en donnait l'occasion, ma grand-mère l'ôtait de son annulaire gauche et me la tendait, j'en admirais la couleur par l'intérieur, à contre jour ; et je lui redonnais en regrettant qu'il me fasse plus penser à une aigue-marine qu'à un saphir bleu, pierre de plus grande valeur. Ma grand-mère l'aimait telle quelle et en profitait pleinement. A sa mort, c'est ma tante qui a hérité des bijoux et j'ai su que ma mère en souffrait. Ma grand-mère remerciait ma tante des heures passées au quotidien et pendant des années auprès d'elle, et ma mère ne pouvait contester la légitimité de cette reconnaissance. Mais ma mère, comme moi, avait été élevée dans le plaisir de posséder des bijoux et ceux de la famille lui échappaient, du fait de la volonté de sa propre mère ! Celle-ci ne l'avait jamais valorisée ni même reconnue, trouvait-elle, de sa place de seconde fille avant une troisième, elle même suivie du fils tant attendu. Ma mère était déjà âgée lorsque j'ai remarqué à son doigt le saphir : "ma sœur me l'a offert parce que j'ai les yeux bleus et qu'elle savait me faire plaisir en me donnant la bague de fiançailles de ma mère". Ma mère était paisible, apaisée, les choses étaient rentrées dans l'ordre, et moi je trouvais qu'en changeant de main la pierre avait changé de couleur : sur ma mère elle était d'un bleu plus sombre et profond, plus à mon goût. Puis, ma mère est décédée, nous avons trouvé le papier qui confirmait ses volontés : "mes bijoux à mes filles" (car les belles-filles transforment les bijoux de famille avait-elle souvent précisé oralement). Ma sœur et moi avons partagé les bagues de notre mère, ma sœur prenant la bague de fiançailles choisie par nos parents et moi, celle de ma grand-mère que j'avais beaucoup aimée. Mais il fallait fixer la valeur de chacune pour ne pas léser les frères et nous les avons montrées à des bijoutiers, pour m'entendre dire que mon rêve marin était un vulgaire corindon de verre. Quand la pierre avait-elle été changée ? Quelle génération avait-elle eu besoin d'argent ou bien s'était-elle fait voler ? Ma mère n'y voyait déjà plus clairement lors du cadeau de sa sœur, et n'a jamais émis une remarque sur la valeur de son bijou. Moi, je contemple mon legs : mon arrière-grand-mère l'a choisie, ma grand-mère et ma mère l'ont portée, je la porterai par sentimentalisme, mais quelque chose est cassé : 20 € !

Clara
Bobodioulasso, marché central. La marchande au boubou vert tendre se fait une crinoline de ses salades empilées. Derrière elle, le store d'une boutique est relevé. Des petits cubes jaunes aux inscriptions rouges Maggi Maggi découpent la pénombre au-delà. Le regard accroché glisse ensuite sur les lisses boîtes de sardines alignées. Assis sur un banc à l'entrée, un homme se lave les doigts au jet de sa bouilloire de plastique. Un chaland s'arrête, le temps de marchander une de ces boîtes or et rouge. Les sardines aromatiseront le riz gras du jour. Il ne laissera rien perdre de l'huile qu'il saucera avec un tronçon de pain léger comme le vent. La boîte vidée ne traînera pas longtemps dans la terre rosée qui en ternira les parois. Elle sera ramassée par un de ces gamins blanchis de poussière. Ses petits doigts la visiteront et s'attarderont sur le tranchant du couvercle faisant vibrer une note sourde. Du bout de l'ongle le musicien en herbe tentera d'en tirer un autre son, plus vif. Une volée de pichenettes frappées sur les côtés fera naître un rythme personnel. Naissance d'une boîte à musique.

Chritophe
Téton. Tétine. Tata. Tantine. Totottes. Toutes. Je les veux toutes. Une ca fait peu. Deux c'est pas beaucoup. Et trop, c'est pas assez. Les mamelles à maman, ca l'a fait pendant quelques semaines. Je pourrais pas dire combien de temps, mais un petit peu quand même. Les premiers jours à la maternité, j'attrapais goulûment le sein qui se présentait. La bouche béante, je laissais, enthousiaste et ravi, le pis gonflé m'envahir. A la rigidité tendue de l sphère cramoisie que j'enroulais sous la langue, succédait une masse doucereuse contre laquelle j'étouffais dans l'allégresse. Au premier cri elle accourait, se dégrafait et je me gavais. Le bonheur et la satiété. J'étais vorace y a pas de doute, mais vue sa précipitation docile, c'est sûr qu'elle devait y trouver son compte. Alors vous pensez comme sa voix tremblait quand elle a annoncé qu'ils sortaient pour un plan ciné-resto en amoureux. Lui il y croyait, mais je savais bien qu'elle passerait plus de temps à penser à moi qu'au film pendant la séance. La jeune fille s'est pointée à 20 heure. Maman lui a expliqué que si je pleurais c'est que j'avais perdu mon doudou, l'utilisation du chauffe biberon, la bonne température pas trop chaude et tout et tout... Moi, je vous laisse deviner où mon regard s'est perdu quand la donzelle s'est penchée sur le berceau.

Marijo
Au jourd’hui deux tiers de l'humanité ont accès à l'eau potable. Le dernier tiers se contenterait d'eau récupérée au hasard des pluies et des puis pollués, impropre à la consommation. Ne la boire qu'une fois bouillie. Chacun a inventé son ustensile samovars, coquemar, théières, pot de terre ou de métal. Au cours du temps la bouilloire métallique ou émaillée a trouvé sa forme ventrue pour contenir, d'une poignée pour s'en saisir au sortir de la flamme et d'un bec pour verser sans gâchis d'un indispensable couvercle pour épargner la chaleur. Le modernisme emmène le plastique. Il finit par être est drôle de trouver cette bouilloire de plastique multicolore sur tous marchés africains, dans chaque cour familiale, devant chaque mosquée et lieu d'aisance. A coup sûr elle ne résisterait pas à l'épreuve du feu. Savoir d'où vient l'idée dans ces pays ou rien n'est superflu, de lui conserver un couvercle à la fonction devenue inutile?