Atelier du 24 juin 06
La proposition s'inspirait de "J'aimerais tellement vous dire" qui présente le parcours de 26 jeunes cheminots. Sans doute parce qu'elle a été soutenue par la SNCF, cette publication présente 26 personnages sensibles, dynamiques et humains, plutôt fiers de leur appartanance professionnelles.
"Savoir d'où je viens pour mieux comprendre qui je suis. Elle est bien jolie Delphine, avec ses cheveux auburn, ses fossettes et son nez en trompette. Lorsque nous l'avons rencontré, un jour de janvier, il faisait gris sur La Rochelle. Entre un thé brûlant et une pizza, nous avons fait un tour dans la vieille ville en papotant..."
La proposition consistait à présenter un personnage de manière claire et synthétique."
Christophe
« L’essentiel est ailleurs… » Sassou est un petit homme qui connaît la vie. Il n’a que 36 ans, mais parle comme un vieux sage. Sassou n’est pas du genre bavard. Venu d’un pays où tout est précieux, il distille ses propos avec parcimonie. Mais ce qui étonne le plus lorsqu’il affiche son sourire à la dentition clairsemée, c’est sa façon d’écouter. Bienveillant et patient, il reçoit les paroles comme autant de cadeaux qu’on lui fait. Sassou est un calme qui ne parle que quand on l’interroge. Il raconte alors les bonheurs de l’existence, les revirements du sort, les coups bas qu’on encaisse et les efforts pour se redresser. Il faut dire que depuis les rives du fleuve Congo qui l’ont vu naître jusqu’à son arrivée dans les faubourgs d’Orléans, Sassou en a vu de toutes les couleurs. Couleurs de l’horreur pendant les massacres qui ravagèrent son pays, couleurs de la colère au milieu de la nuit lorsqu’il s’enroule dans des cartons, mais aussi couleurs de l’espérance depuis que son dossier à été jugé recevable par la préfecture du Loiret. Désormais Sassou attend des papiers. Il ne se révolte pas contre le temps qui passe. Il baisse la tête quand il croise des policiers et ne voyage jamais sans billet composté. Car Sassou sait qu’il y a une chose plus importante : à Kinshasa, un garçon de 12 ans compte sur lui. Son fils Patrick attend qu’il tienne la promesse de le faire venir en France quand arrivera l’heure des études…
Marijo
La tête et es jambes La rencontre ne durera que cinq minutes et si Guillemette a du temps, ça sera un petit quart d'heure qu'elle vous accordera entre deux rendez-vous, deux avions. Lunettes et baskets. Courez, jamais vous ne la rattraperez... Ses seuls biens : son sac à dos et son passeport. Dans ce sac : un ordinateur, un téléphone, une paire de baskets et une culotte. Son univers, le monde et les mots. Elle va vite, très vite et roule à l'énergie renouvelable de ses foulées. Elle court à Paris, elle court à New-York, elle court à Nogent le Roy chez ses parents. Là où elle est, elle court. Sa priorité, être là où ça se passe et en rendre compte. Son terrain de jeu, les média. Citoyenne du monde, elle nous raconte et ses mots défilent et nous disent ses itinéraires et ses émotions. Semelle de vent. Qu'est-ce qui la fait courir si vite? Sa curiosité, son appétit des découvertes, ses inquiétudes? Une sœur de dix mois plus jeune puis un frère dix neuf mois de moins encore. Ils sont deux à la suivre de très près et elle court.
Hélène
"Je ne sais jamais ce qui m'attend"
Dans chaque pièce de son appartement, Eve a disposé des objets rapportés de ses missions en Afrique. Sur chacun, elle raconte le contexte de sa découverte, elle explique le fonctionnement technique et symbolique , elle partage son plaisir à regarder les formes ou à caresser la matière : c'est une "communiquante" et il lui est nécessaire que son interlocuteur partage son intérêt.
Cette femme de cinquante ans qui s'aide d'une canne pour avancer ou rester debout franchit des miliers de kilomètres pour aider à créer des programmes de TV nationaux. Pour chaque pays, elle a des anecdotes sir mes problèmatiques rencontrées, et sait les situer dans le contexte local. Son grand rire chaleureux et son expérience d'animatrice de groupes de recherche lui ouvrent les portes sans bien d'autres domaines créatifs.
Clara
"Fatigué ce soir Monsieur Shwartz ? Un café ? ". Il n'est pourtant ni serveur ni barman, ce Serbe aux yeux gris. Il se dit petit commerçant, tout simplement. Il est là pour dépanner et il dépanne. Devant la vitrine qui lui sert d'établi défilent les passants ; il en salue plus d'un et retourne à son ouvrage. Tourne vis à la main, il survole des carcasses de tôle ou de plastique qui s'ouvrent tout à coup dévoilant leurs entrailles de circuits imprimés. Dans un coin ronronne un disque dur, à côté un écran mouline infiniment ses colonnes de chiffres et des rangées de lettres. Lui, répond au téléphone, tape trois mots sur un clavier, tend l'oreille au bruit singulier...
Atelier du 10 juin 06
Nous recevions Dane Cuypers lors de cette atelier. Auteure, animatrice de jardins d'écriture et journaliste, elle a notemment publié "Les parasols" et "Les aventures mystiques d'une petite fille" La proposition d'écriture était donc extraite de son roman "Les Aventures mystiques d'une toute petite fille". "Pierre est mort à la guerre. Elise le sait parce que son Grand-Parrain le lui a dit. En fait on est pas sûr qu'il est mort: il n'est jamais revenu. Peut-être que sa Mémé l'attend encore et on aime mieux ne pas en parler pour continuer à y croire très fort. Est-ce que sa mémé a eut beaucoup de chagrin? Elise n'arrive pas à l'imaginer s'occupant d'un bébé. Est ce qu'elle chantait au petit Pierre Ma câlinette Ma puossinette Mon bébé charmant Mon enfant à moi? Peut être. Peut être qu'elle était une vraie maman." Constatant la sobriété du style de Dane Cuypers, la proposition consistait a écrire un texte dont les phrases ne comporteraient pas de propositions subordonnées. Puis tous ensemble, nous avons convenu de nous inspirer de l'écrit de Dana Cuypers qui nous a dit apprécier tout spécialement l'adresse à un absent. Nous avons donc compléter la contrainte formelle par cette thématique. Christophe Le père de Dimitri est un type formidable. Ce n’est pas pour rien que j’ai choisi de faire un enfant avec lui. Je ne le savais pas à l’époque de notre rencontre. C’est petit à petit que je me suis rendu compte à quel point il était adorable. Gentil, attentionné, délicat. Serviable. Je pourrais lui trouver une tonne de qualité. Ce n’est pas le genre à me mettre des bâtons dans les roues pour le plaisir. Il est toujours prêt à donner un coup de main et il veut bien tout ce qu’on veut. J’ai son numéro et je sais que je peux l’appeler si j’ai un problème avec notre fils. Il ne me raccrochera pas au nez. Il m’écoutera. Il me donnera son avis. Il me conseillera. Je l’ai aimé vous savez. J’ai été amoureuse de lui comme d’aucun autre. Je me souviens de tout. Je crois bien que j’ai rien oublié. Dans notre histoire, il n’y a rien à jeter. En tout cas moi je ne jette rien. Je garde tout. Je suis prête à recommencer. A le suivre. S’il ouvrait cette porte maintenant pour me proposer de redémarrer ensemble, je vous planterai là pour partir sur l’instant. Sans la moindre hésitation. Sans l’ombre d’un souci. Sans avoir peur de rien. Ce serait formidable. J’adorerai ça. Ca me réveillerait. Je sortirai de la torpeur et tout à coup, ça redeviendrait vertiges, tourbillons, bourrasques et rochers noirs. Les océans se déchaîneraient. L’air m’incendierait les poumons et l’iode m’enflammerait les muqueuses. Ce serait la vie quoi. La vraie. Sauf que le souci, c’est qu’il va pas l’ouvrir cette fichue porte. Il va rester planqué derrière comme un couillon. Pauvre mec va. T’est vraiment pas à la hauteur.
Hélène
Depuis onze ans, ta femme t'injurie toujours : tu es le salaud parti en la laissant seule! Elle, c'est ta femme, elle a le droit de se plaindre publiquement de sa solitude sans toi. Mais moi, à qui puis-je le dire que tu me manques aussi ? C'est pourtant la réalité presque quotidienne : tes yeux sur moi, attentifs à suivre mes propos, ton dodelinement de la tête me rassure, ton bégaiement pour vérifier ta compréhension de mon exposé, et surtout ton corps chaleureux dans l'instant partagé...Je me les joue souvent. D'autres personnes savent m'écouter, mais elles n'ont pas ton aura. Toi, tu m'as bluffée déjà toute petite fille : tu me savonnais dans mon bain et ton corps irradiait de la musique, tu me racontais New York, le bal de Polytechnique, les composants électroniques...j'aurais voulu être scientifique avec toi. Nous avons vécu ensemble, tu ne m'as pas déçue. Tes amies étaient les miennes, et nos dîner très gais dans la « salle à manger du ministre », ton patron, jamais invité. J'ai aimé laisser mes enfants à tes bons soins, ils en éprouvaient du plaisir, et même s'ils t'ont oublié aujourd'hui, ils ont vécu chez toi se sachant reconnus. Depuis onze ans ta femme t'injurie mais elle te fleurit aussi, et nous nous asseyons ensuite ensemble sur ta pierre, ah toi, mon oncle d'Amérique !
Clara
Je regarde le bassin et je vois le reflet de ta silhouette. Ton casque doré se fait des comètes d'algues. Tes sandales s'entrechoquent parfois dans l'élan de ta course menue. Je suis prête à bondir. Sans cesse, je recompte les trois petites têtes, l'une noire et frisée, tendue vers l'horizon, l'autre presque blanche... Tiens ! C'est un derrière cette fois-ci, il cache la troisième, lourd balancier penché sur un crabe, ou est-ce sur le poudroiement de minuscules crevettes ? Le rocher est luisant, le seau écarlate énorme à ton bras. On entend le son tantôt creux tantôt mat de l'épuisette ; comme un étendard, flappi, son filet bleu goutte au-dessus de ta tête. Et tu es le plus insouciant des enfants. Tu lâches tes cousins, devançant leur abandon. Tu en as un peu marre d'être traité de petit. Et puis, tu es bien mieux tout seul. Tu es un sauvageon de la nature. Elle ne te joueras pas de tours, tu le sais. Je te revois cet été-là. Pourtant, l'eau t'a avalé, trois mois plus tard, un jour de novembre, dans tes montagnes. Accroupi sur le bord de la mare, tu tentais de ramener une petite fourche de bois, ta fronde de demain, pensais-tu, après le passage de papa bricoleur. Tes copains sont là, l'un te tient par la capuche de ton duffle-coat, l'autre cherche une branche en forme de crochet, juste un peu plus grande. Zut, encore un peu trop courte celle-là ! Et soudain, la laine de ton manteau s'échappe de la main interdite. Ton corps fait à peine de bruit en entrant dans l'eau. Ils n'y croient pas. Tu vas réapparaître juste derrière eux un sourire vainqueur aux lèvres. Mais non, ta capuche flotte comme un ballon crevé entre deux bras en croix et c'est la course vers la maison, vers les grands. Je ne suis pas venue te dire au revoir dans tes montagnes. Je ne voulais pas croiser le regard de tes parents. « La mort n'est qu'un passage », foutaise ! « Tu avais fait ton temps sur terre ? » re-foutaise. Tu nous as laissé une leçon d'amour inconditionnel, petit bonhomme doré. Certains soirs, tu allumes une étoile quelque part dans la nuit.
Marijo
Mille fois j'y ai pensé. Mille fois tu ne m'as pas dit y avoir pensé. Ca faisait trop mal. Quarante-cinq ans de vie commune. Qu'est-ce que c'est quarante-cinq ans? Ils sont passés si vite. Tu ne voulais pas être vieux. C'est moi qui suis vielle. Vieille oui. Abandonnée, c'est difficile Les mauvaises nouvelles, les mieux et les rechutes. Les derniers jours sans lumière, les derniers mots à peine audibles, ton dernier souffle. Tout ça s'passé si vite. Avignon, Tu te souviens? Nos dernières vacances en amoureux. L'été riait. L'odeur des platanes, les p'tits cafés en terrasse. Elles ont passé vite. Si j'avais su... Putain, j't'en veux tu sais. Je sais, tu n'y peux rien. J't'en veux quand même. Quarante ans pour s'y préparer. C'est pas assez. J'te pardonne pas. Comment j'fais moi? Une seconde vie? Tu rigole. C'est une mort à petits feux que je vis. Ca fait que deux mois? Pour moi, ça fait une vie. Les enfants sont mignons, tu le sais. Mais c'est pas pareil. A qui dire combien tu me manques? A qui dire mon chagrin? J'ai plus personne à qui parler. Les matins en ouvrant un oeil je vois ta place vide. Maintenant j'ai plus le goût à rien. Je mange debout devant le frigo, m'endors devant le télé, me couche au petit matin, me lève trop fatiguer pour faire les choses. Certains soir je suis encore en pyjama. Certains matin encore en jean. Le dimanche, j'fais un effort les enfants passent me prendre. On va manger dehors. Ca me distrait. Ce sont les semaines qui n'en finissent pas. T'avais pas le droit si vite après si longtemps. J't'en veux, tu sais.