samedi, juin 10, 2006

Atelier du 10 juin 06

Nous recevions Dane Cuypers lors de cette atelier. Auteure, animatrice de jardins d'écriture et journaliste, elle a notemment publié "Les parasols" et "Les aventures mystiques d'une petite fille"
La proposition d'écriture était donc extraite de son roman "Les Aventures mystiques d'une toute petite fille".
"Pierre est mort à la guerre. Elise le sait parce que son Grand-Parrain le lui a dit. En fait on est pas sûr qu'il est mort: il n'est jamais revenu. Peut-être que sa Mémé l'attend encore et on aime mieux ne pas en parler pour continuer à y croire très fort. Est-ce que sa mémé a eut beaucoup de chagrin? Elise n'arrive pas à l'imaginer s'occupant d'un bébé. Est ce qu'elle chantait au petit Pierre Ma câlinette Ma puossinette Mon bébé charmant Mon enfant à moi? Peut être. Peut être qu'elle était une vraie maman."
Constatant la sobriété du style de Dane Cuypers, la proposition consistait a écrire un texte dont les phrases ne comporteraient pas de propositions subordonnées. Puis tous ensemble, nous avons convenu de nous inspirer de l'écrit de Dana Cuypers qui nous a dit apprécier tout spécialement l'adresse à un absent. Nous avons donc compléter la contrainte formelle par cette thématique.

Christophe
Le père de Dimitri est un type formidable. Ce n’est pas pour rien que j’ai choisi de faire un enfant avec lui. Je ne le savais pas à l’époque de notre rencontre. C’est petit à petit que je me suis rendu compte à quel point il était adorable. Gentil, attentionné, délicat. Serviable. Je pourrais lui trouver une tonne de qualité. Ce n’est pas le genre à me mettre des bâtons dans les roues pour le plaisir. Il est toujours prêt à donner un coup de main et il veut bien tout ce qu’on veut. J’ai son numéro et je sais que je peux l’appeler si j’ai un problème avec notre fils. Il ne me raccrochera pas au nez. Il m’écoutera. Il me donnera son avis. Il me conseillera. Je l’ai aimé vous savez. J’ai été amoureuse de lui comme d’aucun autre. Je me souviens de tout. Je crois bien que j’ai rien oublié. Dans notre histoire, il n’y a rien à jeter. En tout cas moi je ne jette rien. Je garde tout. Je suis prête à recommencer. A le suivre. S’il ouvrait cette porte maintenant pour me proposer de redémarrer ensemble, je vous planterai là pour partir sur l’instant. Sans la moindre hésitation. Sans l’ombre d’un souci. Sans avoir peur de rien. Ce serait formidable. J’adorerai ça. Ca me réveillerait. Je sortirai de la torpeur et tout à coup, ça redeviendrait vertiges, tourbillons, bourrasques et rochers noirs. Les océans se déchaîneraient. L’air m’incendierait les poumons et l’iode m’enflammerait les muqueuses. Ce serait la vie quoi. La vraie. Sauf que le souci, c’est qu’il va pas l’ouvrir cette fichue porte. Il va rester planqué derrière comme un couillon. Pauvre mec va. T’est vraiment pas à la hauteur.

Hélène
Depuis onze ans, ta femme t'injurie toujours : tu es le salaud parti en la laissant seule! Elle, c'est ta femme, elle a le droit de se plaindre publiquement de sa solitude sans toi. Mais moi, à qui puis-je le dire que tu me manques aussi ? C'est pourtant la réalité presque quotidienne : tes yeux sur moi, attentifs à suivre mes propos, ton dodelinement de la tête me rassure, ton bégaiement pour vérifier ta compréhension de mon exposé, et surtout ton corps chaleureux dans l'instant partagé...Je me les joue souvent. D'autres personnes savent m'écouter, mais elles n'ont pas ton aura. Toi, tu m'as bluffée déjà toute petite fille : tu me savonnais dans mon bain et ton corps irradiait de la musique, tu me racontais New York, le bal de Polytechnique, les composants électroniques...j'aurais voulu être scientifique avec toi. Nous avons vécu ensemble, tu ne m'as pas déçue. Tes amies étaient les miennes, et nos dîner très gais dans la « salle à manger du ministre », ton patron, jamais invité. J'ai aimé laisser mes enfants à tes bons soins, ils en éprouvaient du plaisir, et même s'ils t'ont oublié aujourd'hui, ils ont vécu chez toi se sachant reconnus. Depuis onze ans ta femme t'injurie mais elle te fleurit aussi, et nous nous asseyons ensuite ensemble sur ta pierre, ah toi, mon oncle d'Amérique !

Clara
Je regarde le bassin et je vois le reflet de ta silhouette. Ton casque doré se fait des comètes d'algues. Tes sandales s'entrechoquent parfois dans l'élan de ta course menue. Je suis prête à bondir. Sans cesse, je recompte les trois petites têtes, l'une noire et frisée, tendue vers l'horizon, l'autre presque blanche... Tiens ! C'est un derrière cette fois-ci, il cache la troisième, lourd balancier penché sur un crabe, ou est-ce sur le poudroiement de minuscules crevettes ? Le rocher est luisant, le seau écarlate énorme à ton bras. On entend le son tantôt creux tantôt mat de l'épuisette ; comme un étendard, flappi, son filet bleu goutte au-dessus de ta tête. Et tu es le plus insouciant des enfants. Tu lâches tes cousins, devançant leur abandon. Tu en as un peu marre d'être traité de petit. Et puis, tu es bien mieux tout seul. Tu es un sauvageon de la nature. Elle ne te joueras pas de tours, tu le sais. Je te revois cet été-là. Pourtant, l'eau t'a avalé, trois mois plus tard, un jour de novembre, dans tes montagnes. Accroupi sur le bord de la mare, tu tentais de ramener une petite fourche de bois, ta fronde de demain, pensais-tu, après le passage de papa bricoleur. Tes copains sont là, l'un te tient par la capuche de ton duffle-coat, l'autre cherche une branche en forme de crochet, juste un peu plus grande. Zut, encore un peu trop courte celle-là ! Et soudain, la laine de ton manteau s'échappe de la main interdite. Ton corps fait à peine de bruit en entrant dans l'eau. Ils n'y croient pas. Tu vas réapparaître juste derrière eux un sourire vainqueur aux lèvres. Mais non, ta capuche flotte comme un ballon crevé entre deux bras en croix et c'est la course vers la maison, vers les grands. Je ne suis pas venue te dire au revoir dans tes montagnes. Je ne voulais pas croiser le regard de tes parents. « La mort n'est qu'un passage », foutaise ! « Tu avais fait ton temps sur terre ? » re-foutaise. Tu nous as laissé une leçon d'amour inconditionnel, petit bonhomme doré. Certains soirs, tu allumes une étoile quelque part dans la nuit.

Marijo
Mille fois j'y ai pensé. Mille fois tu ne m'as pas dit y avoir pensé. Ca faisait trop mal. Quarante-cinq ans de vie commune. Qu'est-ce que c'est quarante-cinq ans? Ils sont passés si vite. Tu ne voulais pas être vieux. C'est moi qui suis vielle. Vieille oui. Abandonnée, c'est difficile Les mauvaises nouvelles, les mieux et les rechutes. Les derniers jours sans lumière, les derniers mots à peine audibles, ton dernier souffle. Tout ça s'passé si vite. Avignon, Tu te souviens? Nos dernières vacances en amoureux. L'été riait. L'odeur des platanes, les p'tits cafés en terrasse. Elles ont passé vite. Si j'avais su... Putain, j't'en veux tu sais. Je sais, tu n'y peux rien. J't'en veux quand même. Quarante ans pour s'y préparer. C'est pas assez. J'te pardonne pas. Comment j'fais moi? Une seconde vie? Tu rigole. C'est une mort à petits feux que je vis. Ca fait que deux mois? Pour moi, ça fait une vie. Les enfants sont mignons, tu le sais. Mais c'est pas pareil. A qui dire combien tu me manques? A qui dire mon chagrin? J'ai plus personne à qui parler. Les matins en ouvrant un oeil je vois ta place vide. Maintenant j'ai plus le goût à rien. Je mange debout devant le frigo, m'endors devant le télé, me couche au petit matin, me lève trop fatiguer pour faire les choses. Certains soir je suis encore en pyjama. Certains matin encore en jean. Le dimanche, j'fais un effort les enfants passent me prendre. On va manger dehors. Ca me distrait. Ce sont les semaines qui n'en finissent pas. T'avais pas le droit si vite après si longtemps. J't'en veux, tu sais.